La communauté andine : l’Ayllu.

 

Classe de 2nde.

 

Les sociétés indiennes, dans les Andes, sont organisées en communautés, les Ayllus, terme utilisé par les Aymaras, les Quechuas et les Urus.

 

I ) L’Ayllu, une définition complexe :

 

A ) Notions de base :

 

Définir l’Ayllu est très complexe : c’est d’abord un groupe de familles qui prétendent avoir un ancêtre commun. Ces familles pratiquent l’endogamie : les mariages se célèbrent entre familles de l’Ayllu.

 

Mais l’Ayllu est aussi une communauté de personnes, qui exploite un territoire. L’Ayllu peut donc être aussi considéré comme un territoire.

 

Enfin, l’Ayllu possède des institutions politiques et religieuses communes : à la base se trouve l’ancêtre ou une divinité créatrice. Cette entité tutélaire est appelée Huaca. Cette dernière est, selon les Ayllus une montagne, un fleuve, un arbre, un animal, ou encore une momie…

 

B ) Une propriété collective de la terre :

 

En théorie, dans l’Ayllu, la propriété privée de la terre n’existe pas : la propriété est collective. Un des éléments essentiels est donc la solidarité à l’intérieur de la communauté. L’Ayni est l’entraide entre les membres de la communauté pour des travaux collectifs tels que la Minga et la Faena ( semailles, récoltes, entretien des canaux d’irrigation ).

 

Le système d’exploitation des sols est lui-même communautaire : chaque famille reçoit une parcelle de terres mais n’en est jamais propriétaire. C’est la communauté, l’Ayllu, qui est propriétaire des terres. Plusieurs systèmes de propriété communautaire existent :

 

-La redistribution chaque année de parcelles de terres aux familles, lors d’une cérémonie religieuse : c’est un système lourd et complexe.

 

-La transmission héréditaire : ce système est simple et fréquemment utilisé.

 

-La transmission héréditaire des terres mais les pâturages ( pastizales ) restent collectifs.

 

Puisque les terres sont une propriété collective, il n’est pas possible de les vendre ou les acheter. Il n’est pas non plus possible d’hypothéquer, donc pas de crédit.

 

Sur la définition de l’Ayllu, voir : Eve-Marie Fell, Les Indiens. Sociétés et idéologies en Amérique hispanique, U Prisme, Armand Colin, 1973, p. 32-43

Voir documents chapitre IV.

 

II ) L’évolution de l’Ayllu :

 

A ) Le choc de la conquête :

 

La conquête espagnole bouleverse les communautés indigènes, donc les Ayllus. D’abord, les Espagnols transmettent des microbes et virus inconnus dans les Andes et auxquels les corps des Indiens ne peuvent résister, faute d’anticorps appropriés. Au bilan, dans certaines régions entre la moitié et les deux tiers des populations disparaissent du fait des épidémies diverses (grippe, variole, etc… ). Les esclaves noirs d’Afrique transmettent eux aussi d’autres microbes et virus.

 

Voir documents : Catastrophe démographique et conquête de l’Amérique. Pierre Morlon (compilador y coordinador), Comprender la agricultura campesina en los Andes centrales. Perú – Bolivia, IFEA – cbc, Lima,1996, p. 137. Nathan Wachtel, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, Gallimard, 1971, p. 320-321, 352

 

La baisse de la population contribue à désorganiser les communautés.

 

Par ailleurs, l’économie coloniale bouleverse aussi les Ayllus. L’économie coloniale se fonde sur l’exploitation des indigènes à travers la Mita. En effet, les communautés doivent fournir régulièrement des travaux gratuits dans les mines comme dans les ateliers ( obrajes ). Elles doivent aussi payer des impôts. Les communautés sont donc désorganisées ou abandonnées.

 

Sur la mita, voir : Bernard Lavallé, L’Amérique espagnole de Colomb à Bolivar, Belin Sup. Histoire, 1993, p. 65-70. Thomas Calvo, L’Amérique ibérique de 1570 à 1910, Nathan Université, 1994, p. 112-114.

 

Enfin, les Espagnols modifient en profondeur l’organisation des Ayllus en ce qui concerne leur rapport à l’espace. En effet, dans l’Ayllu originel, la population n’est pas concentrée au même endroit, mais est répartie selon différents niveaux d’altitude. Ceci permet de contrôler l’ensemble des espaces écologiques de la zone andine, c’est-à-dire l’ensemble des produits agricoles disponibles entre 1500 et 4000 mètres d’altitude.

 

Sur les étages écologiques, voir document : Pierre Morlon, op cit, p. 124.

 

Or, en 1570, le vice-roi Toledo introduit un changement radical : il décide de regrouper toute la population des Ayllus à un même endroit, le noyau de l’Ayllu, en fait un village appelé reducción. Il s’agit évidemment de contrôler plus aisément la population, que ce soit pour des raisons de maintien de l’ordre, de mise en place de la Mita, de levée d’impôts et d’évangélisation.

 

Sur les réformes de Toledo : Luis Guillermo Lumbrera (ed.), Historia de América andina, vol. 2. Formación y apogeo del sistema colonial, Universidad andina Simón Bolivar, Quito, p. 99-131.

 

Cela remet en cause tout le système d’étagement vertical et d’harmonie écologique des Ayllus. Pourtant, le système originel n’a pas complètement disparu. Aujourd’hui encore les Ayllus du nord de Potosi ont encore des terrains répartis sur différents niveaux d’altitude, profitant ainsi de toute la gamme de produits agricoles que l’on trouve dans les Andes.

 

Voir documents sur les Ayllus de Potosí : Fernando Mendoza, Willer Flores, Catherine Letourneux, Atlas des los Ayllus de Chayanta, vol. I. Territorios del Suni. Programa de autodesarrollo campesino. Fase de consolidación. Potosí. Bolivia, 1994, p. 30,32.

Sur les Ayllus de Potosí, on peut également consulter : Tristan Platt, La persistencia de los ayllus en el norte de Potosí.De la invasión europea a la República de Bolivia. Fundación Diálogo, Embajada del Reino de Dinamarca en Bolivia, La Paz, 1999.

Tristan Platt, Le rôle de l’Ayllu dans la reproduction du système marchand simple dans le Nord de Potosí. In : De l’empreinte à l’emprise. Identités andines et logiques de paysans, PUF, Paris, Cahiers de l’IUED – Genève, 1982.

 

B ) Les Ayllus : de Bolivar à nos jours.

 

Une autre époque difficile apparaît avec l’indépendance et les décrets de Bolivar émis entre 1824 et 1825 : pour la nouvelle autorité, il s’agit de faire disparaître l’Ayllu, au profit de petites propriétés. Bolivar cherche en fait à moderniser l’agriculture, le système de l’Ayllu étant jugé archaïque.

 

Sucre (1825-1828) continue la politique de Bolivar et s’attaque aux communautés. Dans un premier temps, c’est un échec. En effet, l’Etat n’a pas les moyens suffisants pour appliquer cette politique. Par ailleurs, ces communautés payent des impôts qui représentent selon les années entre un tiers et la moitié du budget de l’Etat bolivien. L’Etat repose donc sur ces communautés.

 

En fait, pour détruire ces communautés, il faut attendre que d’autres secteurs contribuent par l’impôt au budget de l’Etat. C’est possible à partir de la deuxième moitié du XIXème avec l’exploitation des mines d’argent. L’industrie minière fournit alors le plus gros des recettes fiscales.

 

En 1866, Melgarejo (1864-1871) propose une première loi qui fait passer les terres des communautés aux mains de grands propriétaires, les Hacendados. C’est un échec.

 

En 1874, Frias (1873-1874) impose la loi dite d’exvinculación. C’est encore un échec.

 

En 1881, en pleine guerre du Pacifique (1879-1883) , la même loi est appliquée cette fois-ci avec succès : les Hacendados s’emparent des terres d’un grand nombre de communautés. Certaines résistent tout de même non sans difficulté.

 

Les Ayllus sont sauvés grâce à la Révolution Nationale de 1952 : le 2 août 1953, une Réforme Agraire est lancée. Les grandes propriétés sont démembrées et redistribuées sous forme de petites parcelles aux paysans. Hormis ces terres remises aux paysans en tant que petites propriétés individuelles, d’autres sont rendues aux Ayllus. Le système de la petite propriété est largement favorisé. Cependant, la propriété collective de la terre est reconnue

 

Finalement, en 1996, la loi INRA reconnaît de nouveau officiellement l’existence des Ayllus. De même, la loi de participation populaire, une loi de décentralisation municipale adoptée en 1994 a renforcé les pouvoirs et les attributions des Ayllus.

 

Sur l’histoire des questions agraires en Bolivie, voir : Herbert S. Klein, Hisoria de Bolivia, Libreria – Editorial « Juventud », La Paz, 1991.

 

III ) L’organisation municipale et le système des charges :

 

A ) Des communautés hybrides :

 

Des études (José Maria Arguedas) ont montré que l’Ayllu, au Pérou ou en Bolivie présente une forme hybride, c’est-à-dire réunissant des éléments indiens et Espagnols. Les Ayllus ont donc une réalité à la fois indienne et espagnole, indienne pour ce qui est de la répartition des terres, espagnole pour ce qui est du système administratif, municipal.

 

Sur l’organisation de l’Ayllu, voir : José María Arguedas, Las comunidades de España y del Perú, UNMSM, Lima, 1968. Eve Marie Fell, op cit. p. 32-43

 

Depuis 1570, les Ayllus, regroupés et organisés en reducciones possèdent une organisation municipale. Les Ayllus sont devenus des villages, au sein desquels, la place centrale a une grande importance. Elle réunit tout autour d’elle les pouvoirs et les grandes activités (église, mairie, marché, etc… ). Les rues partent de la place centrale et s’organisent de façon orthogonale. Le centre de ces villages est organisé selon le modèle de la place hispanique.

 

Voir documents sur les reducciones, Fernando Mendoza, op cit, p. 19, 46, 49.

 

B ) L’organisation municipale :

 

La communauté est dirigée par un cabildo, un conseil qui rassemble les membres de la communauté qui ont la responsabilité d’une charge civile ou religieuse. A la tête du Cabildo se trouve l’Alcalde. Il convoque la Asemblea Comunal ou Parlamento : cette assemblée réunit tous les membres de la communauté, en fait les hommes mariés. Les femmes et les hommes non mariés sont exclus. On se marie en fait vers l’âge de 20 ans et on reçoit alors un lopin de terre en même temps que le droit de participer à la vie de la communauté, et notamment à travers le Parlamento qui gère les affaires de l’Ayllu ( attribution des terres, contrôle du système d’irrigation, etc ). C’est une démocratie directe.

 

Sur l’organisation municipale, voir : Eve Marie Fell, op cit, p. 32-43. Nathan Wachtel, Le retour des ancêtres. Les Indiens Urus de Bolivie, XXe – XVIe. Essai d’histoire regressive, NRF, Ed. Gallimard, 1990, p. 122-126

 

C ) Le système des charges :

 

En devenant membre de la communauté ( comunero ), on reçoit un lot de terre en même temps qu’on entre dans le système des charges. Pendant 20 ans, on va assumer une série de charges jusqu’à la plus importante, chef de l’Ayllu. Ces charges doivent être assumées par tous les comuneros au cours de leur vie et se divisent en charges civiles et religieuses.

 

Toutes ces charges sont assumées pendant un an et sont gratuites, c’est-à-dire sans indemnités. On doit payer toutes les dépenses liées à la charge. Le refus est possible mais mal accepté.

 

Les charges sont très variées : entretien de l’école, de l’église, des chemins…, Les plus onéreuses sont liées à la religion, comme par exemple l’organisation de la fête du Saint-Patron du village. Les dépenses ( boissons, aliments, musiciens, etc ) endettent dramatiquement l’organisateur, le preste.

 

Comme le souligne Paul Veyne, on peut parler d’un évergétisme andin, analogue aux liturgies athéniennes et de façon générale, aux pratiques des évergètes du monde gréco-romain.

Sur le système des charges, voir : Eve Marie Fell, op cit, p. 32-43. Paul Veyne, Le pain et le cirque, Sociologie historique d’un pluralisme politique, Univers historique, Seuil, 1976, p. 29-30. Nathan Wachtel, op cit, 1990, p. 127-134.

 

A noter enfin que ces pratiques ont gagné le monde des villes : par exemple, à La Paz, des prestes organisent la fête du Seigneur du Gran Poder.

 

IV ) Un exemple d’Ayllus : les Urus-Chipayas du lac Coipasa ( voir documents ).

 

Les Urus-Chipayas sont des pêcheurs et des agriculteurs. Les Ayllus sont divisés en deux parties, Tajata à l’Ouest et Tuanta à l’Est. On retrouve cette caractéristique chez les Aymaras avec Manasaya en bas et Aransaya en haut, et les Quechuas, Urinsaya en bas et Janansaya en haut. Cette structure duale a une dimension territoriale, institutionnelle, sociale et également religieuse. Les Tinkus, ces luttes rituelles liées à la fécondité opposent souvent les deux moitiés.

 

Un dossier consacré aux Urus-Chipayas et tiré du livre de Nathan Wachtel, « Le retour des ancêtres, les Indiens Urus de Bolivie, XXème-XVIème siècles, Essai d’histoire régressive », nous permet à travers des cartes, des schémas, des photographies et des textes d’appréhender la vie d’un Ayllu ( travaux collectifs, charges, fêtes religieuses… )

 

Voir documents sur les Urus Chipayas, Nathan Wachtel, op cit, 1990, p. 15-16, 31-32, 34, 59,61 photos fin de l’ouvrage.

 

Bibliographie :

 

Arguedas José María, Las comunidades de España y del Perú, UNMSM, Lima, 1968.

 

Calvo Thomas, L’Amérique ibérique de 1570 à 1910, Nathan Université, 1994.

 

Fell Eve-Marie, Les Indiens, sociétés et idéologies en Amérique Hispanique, Armand Colin, 1973.

 

Klein Herbert S., Historia de Bolivia, Librería – editorial « juventud ». La paz, 1991

 

Lavallé Bernard, L’Amérique espagnole de Colomb à Bolivar, Belin sup, Histoire, 1993

 

Lumbrera Luis Guillermo (ed.), Historia de América andina, vol 2, Formación y apogeo del sistema colonial, Universidad andina Simón Bolivar, Quito, 1999

 

Mendoza Fernando, Flores Willer, Letourneux Catherine, Atlas de los Ayllus de Chayanta, vol I, Territorios del Suni, Programa de autodesarrollo campesino, fase de consolidación, Potosí – Bolivia, 1994.

 

Morlon Pierre (compilador y coordinador), Comprender la agricultura campesina en los Andes centrales. Perú – Bolivia, IFEA, cbc, Lima 1996.

 

Platt Tristan, La persistencia de los Ayllus en el norte de Potosí, De la invasión europea a la República de Bolivia. Fundación Diálogo, Embajada del Reino de Dinamarca, La Paz, 1999.

 

Platt Tristan, Le rôle de l’Ayllu dans la reproduction du système marchand simple dans le Nord de Potosí. In : De l’empreinte à l’emprise. Identités andines et logiques de paysans. PUF Paris, Cahiers de l’IUED, Genève, 1982.

 

Veyne Paul, Le pain et le cirque, sociologie historique d’un pluralisme politique, Univers historique, Seuil, 1976.

 

Wachtel Nathan, Le retour des ancêtres, les Indiens Urus de Bolivie, XXème-XVIème siècles, Essai d’histoire régressive, Gallimard, 1990.

 

Wachtel Nathan, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, Gallimard, 1971.

 

 

 

Cours : Frédéric Richard, 2002, Collège Franco-Bolivien, La Paz, Bolivie.